Ouvriers, paysans, hardcoreux.
On savait les tourangeaux de Nine Eleven assez habiles dans l’exercice du poème épique version punk hardcore, pour preuve le succès auprès du public du précédent album sorti en 2009 City of Quartz qui avait posé les bases de cette écriture narrative et chargée, soucieuse à la fois d’une forme travaillée et baroque , lourde d’un sens extrêmement référencé. Le nouvel album Le Rêve de Cassandre, composé et enregistré à la vitesse d’un cheval au galop, ne déroge pas à la règle : c’est un hardcore d’histoires personnelles qui croisent le chemin de la grande Histoire, héros tragiques du quotidien, enfants, réfugiés, ouvriers, femmes …La parole est donnée aux laissés pour compte de la guerre impérialiste sous la forme compliquée et évocatrice du steam of consciousness. Et petit-à-petit, sans s’en rendre compte, Nine Eleven inventent un genre, le hardcore épique, en faisant un album aussi lourd qu’un Roland furieux, un poème tragique des oubliés de l’Histoire. Vous me direz « Et alors qu’est-ce qu’on avait besoin qu’une énième bande de donneurs de leçons viennent faire leur Ken Loach à la place de Ken Loach ? » Tsssss….
De deux choses l’une : si le contenu de base est aussi limpide qu’une version commentée de Guerre et Paix Nine Eleven ont deux atouts majeurs qui ont le mérite de ranger le Rêve de Cassandre du bon côté : D’abord, les chansons. La qualité des harmonies est toujours là, parfois en echo à celles de City of Quartz, parfois s’en détachant. On entendra même du Glockenspiel et du violon. Si on reconnait quelques clins d’Å“il à des genres bien déterminés ça et là dans l’album, on est loin du hardcore de bourricot.
L’atout majeur de cet album –et ce ne sera peut-être pas l’avis de tous les fans – est le nouveau souffle accordé aux chansons grâce à la voix. Le chanteur de City of Quartz est parti, remplacé par l’ancien chanteur des débuts, à la voix métamorphosée par le passage dans le monde merveilleux du Thrash (Verbal Razors). En conséquence, la voix de nos héros, qui braillent à travers ce disque leur histoire chaotique, a le mérite de ne jamais geindre, de ne jamais chialer. Elle est portée par une seule voix, qui elle saccage tout sur son passage, racaille et crado comme on peut l’aimer chez Trash Talk ou the Rival Mob, mais qui sait prendre certains accents chez Lifetime aux moments où il faut.
On retrouve dans la musique des clins d’Å“il à ce qui est sorti de meilleur ces derniers temps, Ceremony, Oathbreaker, La Dispute, Lewd Acts ; on retrouve dans les paroles autant de références passionnées, historiques, littéraires, musicales. L’album est fat, les guitares sonnent enfin comme chez Remains of the day, ça blaste parfois, ça chante aussi pour mieux vomir les deux mots suivants. Le Rêve de Cassandre c’est les Straub avec un patch Masakari et une banderolle qui dit « Face à tout cela un colt, promesse de soleil levant ». Ces mecs-là tuent. Sing along with them.