1998. Deux ans déjà que Dr Dre tente de faire décoller son nouveau label : Aftermath Records. Sans grand succès jusque-là, et les fans commencent à se demander si le bon Docteur ne va pas les décevoir pour la première fois. Les craintes n’en sont que plus grandes quand il annonce qu’il vient de signer un obscur rappeur blanc de Détroit, qui n’a à son actif qu’un album sorti trois ans plus tôt (échec aussi bien commercial que critique, qui a poussé le pauvre Marshal, en pleine misère sociale avec la toute récente naissance de sa fille, à une tentative de suicide), et un EP certes de bonne facture, mais qui n’a obtenu qu’un succès régional.
Le pari semble très osé à l’époque où il était acquis pour beaucoup que les blancs ne savaient pas rapper. Pour faire monter la sauce, Dr.Dre fait ressortir le single du précédent EP : Just Don’t Give a Fuck. Titre rageur qui définira bien cet album ultra provocant. C’est aussi la découverte du personnage de Slim Shady, sorte d’alter ego maléfique d’Eminem, qui pense que toute vérité est bonne à dire et où tout le monde en prend pour son grade. Particulièrement lors du second et véritable single de l’album et succès mondial : My Name Is, où il attaque aussi bien ses proches que les stars du moment. Que dire du titre 97′ Bonnie & Clyde où il emmène sa fille pour étrangler sa femme (les premiers pas vers un divorce certains avec Kim).
Là où Eminem devient intéressant, c’est que derrière les provocations, on découvre pour la première fois l’univers des « white-trash ». L’histoire des blancs pauvres, oubliés du rêve américain et qui vivent dans des roulottes, alternant les petits boulots sans perspectives d’avenir et vulnérables à la drogue et l’alcool. Des thèmes qu’on retrouve particulièrement dans le titre If i Had et l’excellente Rock Bottom.
Plus qu’un simple représentant musical de cette frange sociale, Eminem n’arrivera finalement jamais à se débarrasser réellement de cet univers. Même après le succès, Marshal Mathers reste une personne instable, souvent déprimé et porté sur la drogue et les médicaments, malgré de nombreuses cures de désintoxication. Il est finalement l’archétype de ces artistes qui ne trouvent jamais le repos, et que seul le mal-être pousse à la création.
Violence, humour noir, misère sociale. Voici les thèmes qui jalonnent ce premier très grand disque d’Eminem. Peut-être pas le plus efficace au niveau musical (l’album qui suivra, Marshal Mather LP, relèvera ce niveau-là), mais clairement une révolution dans le rap US à l’époque, et qui a toujours son influence à l’heure actuelle.