L’album du jour
Artiste : ALAN JACK CIVILIZATION
Titre : BLUESY MIND
Sortie : 1969
Label : BYG Records.
Jacques-Alain Braud en France, Alan-Jack, de l’autre côté de la Manche, a jammé avec Alexis Korner, tapé le bœuf avec Graham Bond, traîné ses guêtres dans les mêmes clubs british que Long John Baldry, fréquenté Rod Stewart et Jools, alias Julie Driscoll. Il a le Golf Drouot, la Locomotive, l’Alhambra, l’Olympia à son tableau de chasse, volant au passage la vedette à des monstres sacrés comme Bill Haley et ses Comets, les Pretty Things ou le Spencer Davis Group.
A la scène, Jacques Braud est Alan Jack, l’enfant que le blues français a précocement porté sur les fonts baptismaux. Le charismatique barbu et chevelu est notre John Mayall, en quelque sorte, toutes proportions gardées.
Passé par les Gentlemen (1960/64), Alan Jack Group (1965/68), c’est avec l’Alan Jack Civilization (1969/70) que le tourangeau, le blues chevillé au corps, entraine dans l’aventure Richard Fontaine, né lors d’un voyage familial en Italie et accouché, par la force des choses dans un asile d’aliénés, fondateur des Stormbeats (avec pour chanteur Ronald Mahu, dit Ronnie Bird).
Richard Fontaine, bassiste, met Alan jack en relation avec deux amis sudistes, le biterrois Jean Falissard, batteur puissant, (ex-Flames, un groupe qui a fait les beaux jours du Golf Drouot) et Claude Olmos, le guitariste de blues marseillais (ex Doc Daïl, la formation toulousaine de Ticky Holgado) qui refuse de suivre Percy Sledge aux States pour rester avec les potes.
Nullement impressionnés par les rivaux anglais issus du british blues boom, les frenchies, premier groupe de blues hexagonal passé pro, enregistrent un 33 Tours sous l’étiquette BYG Records, Bluesy Mind, publié en juin 1969, avant d’enfiler, comme des perles, date sur date, en France et sur le Vieux Continent.
Enfermé dans la demeure familiale tourangelle des Braud, la communauté AlanJack Civilization n’en ressort qu’une fois l’album achevé. Un bien beau disque de blues-rock, ma foi, authentique et solide, joué et surtout chanté en anglais, comme jamais, par des gaulois.
Bluesy Mind, seul unité vinylique à mettre au crédit du groupe, a de quoi tenir la dragée haute à des Savoy Brown ou autres groupes de blues rock blancs d’Outre-manche, la matière, l’inspiration et la technicité pour séduire les fans du Fleetwood Mac de cette période.
Articulé autour d’une face A qui concentre un blues-rock plutôt costaud, et d’une face B, plus blues psychédélique, Bluesy Mind est une progression musicale permanente au fil des titres. En point d’orgue de ce disque, les deux morceaux issus des 45 Tours, Shame On You et Baby Don’t You Come Back Home ainsi que Middle Earth.
Ici, pas d’à-peu-près, pas de remplissage, pas de concessions. L’affaire est rondement menée et a pour vocation de clouer le bec aux sceptiques et de faire fièrement le coq face aux ennemis héréditaires anglais. La rythmique du tandem Falissard/Fontaine est précise, discrète et efficiente ; la guitare d’Olmos a de la classe, mais peut tout autant sortir de ses gonds, selon le besoin ou l’intérêt, ses solos sont intelligents et éclatants ; les compositions sont bien gaulées. La voix (avec ce délicieux accent qui nous caractérise, nous les français) du regretté Alan Jack, disparu en 1995, épouse parfaitement les notes de son instrument de prédilection, le piano et s’accorde au jeu tout en subtilité d’Olmos.
Non seulement, Bluesy Mind tient la route, mais il va au-delà de ce que vous pouvez imaginer. On peut vraiment faire les fiers-à-bras et agiter cet album au moindre reproche sur la faiblesse supposée de nos groupes fin 60/début 70. Ce disque, pour nous français d’alors, c’est un événement que vous ne pouvez même pas imaginer.