Comme tout adolescent promis à un avenir radieux vous avez sans doute chanté à tue-tête dans votre chambre sur les chansons de vos artistes préférés. Pour ma part, n’étant pas très assidu en cours d’anglais, je chantais donc tel que j’entendais, c’est-à-dire « haaaha oui cane grosseur » au lieu de « guns of Brixton ». Il me fallut quelques années pour comprendre que le titre était le refrain mais encore aujourd’hui, malgré plus de 25 ans d’écoute intensive de cette chanson, dans le fin fond de ma tête, je chante encore « oui cane grosseur » au lieu de « guns of Brixton », que Paul Simonon me pardonne.
1979, Londres, The Clash édite son 3ème album alors que le raz de marée Punk est en train de retomber. Le 1er album avait posé les bases d’un Punk sec, mélodique et ouvert sur le Reggae, « Give em’ enough rope » accouché dans la galère et la douleur avait installé le groupe dans le rayon des mecs qui en ont dans le ciboulot, London Calling était donc attendu au tournant par le public et les critiques.
London Calling, le disque indispensable dans toute discothèque, le seul qu’il faille sauver d’un cataclysme planétaire, LE disque. Et s’il fallait ériger un monument à la gloire des punk-rockers il représenterait Joe Strummer, Mick Jones, Paul Simonon et Topper Headon, pour l’ensemble de leur Å“uvre.
Alors que mon oreille commençait à se lasser de Kajagoogoo et que Morten le chanteur de Ah-a perdait jour après jour du crédit, Specials, The Beat, Négresses Vertes et autres groupes de rock alternatif français prenaient de plus en plus de place dans mon univers de jeune ado à la recherche de sensations auditives. C’est à ce moment charnière de mon existence que The Clash fracassait la porte de ma chambre par la voie d’une K7 enregistrée par un cousin plus âgé que moi.
Si mes lattes de lit pétaient les unes après les autres sous mes assauts c’était à cause de cette K7 écoutée à fort volume, si mes voisins de l’immeuble tapaient au plafond c’était parce que je braillais les paroles dans un yaourt anglais approximatif, si je m’engueulais avec ma frangine c’était bien souvent parce qu’elle voulait que je change de disque, si j’utilisais plus que de raison le tube d’Arnica c’est que je me cognais le coude contre le mur en faisant du air-guitar sur les chansons du Clash. Des chansons qui m’ont incité à m’engouffrer dans ce son anglais, nerveux, rageur et ouvert sur le monde. Avant même d’avoir traduit les paroles au mot à mot à l’aide d’un dico, je ressentais déjà la fureur et la passion dans la voix de Joe Strummer et la grâce dans celle de Mick Jones. Avec les transcriptions en français, je pigeais qu’au contraire de beaucoup d’autres groupes Punk européens ou états-uniens, The Clash avait des choses à dire et une chanson ne devait jamais être un simple divertissement. Les messages envoyés étaient reçus 5/5 par le jeune pubère révolté que j’étais. Des messages au sens politique fort, que ce soit sur la déshérence d’un jeune banlieusard ou sur la guerre d’Espagne de 1936.
Pour les novices de The Clash, London Calling est une merveille du monde pour une autre raison : sa diversité musicale, prouvant ainsi l’ouverture d’esprit du groupe. Un album Punk pas comme les autres appuyé par le jeu de batterie incroyable de Topper Headon. Ce double album, vendu au prix d’un simple après d’âpres négociations avec CBS, sera critiqué par les puristes radicaux pour ses instrumentations trop riches et son enregistrement trop propre. Mais il durera dans le temps, passant du Rock’n Roll à la balade Jazzy, surfant sur du Reggae comme sur du Rythm’n Blues, s’autorisant un ska et flirtant avec une rythmique disco. Le combo offre ainsi au réalisateur Guy Stevens, un grand choix de matériaux sur lesquels il apposera ses arrangements.