C’est en 1992 que le groupe Rage Against The Machine, créé en 1990 à Los Angeles, sort son premier album éponyme (ou intitulé Bombtrack selon les éditions). Le nom Rage Against The Machine est issu de l’une des chansons d’Inside Out, précédent groupe de Hardcore du chanteur, Zack de la Rocha. « The Machine » évoque ici, non pas les engins en tous genres et autres mécanismes, mais une représentation du système au sens large et de ses travers tels que mondialisation, néolibéralisme, racisme, élitisme et indifférence, entre autres.
La première claque est visuelle et bon nombre d’entre vous connaissent par cÅ“ur cette pochette choc sobrement constituée d’une célèbre photo daté du 11 juin 1963 et signée du journaliste et photographe américain Malcom Browne. On y voit un moine tibétain, Thich Quang Duc, s’immolant pour protester contre la persécution des bouddhistes par le régime dictatorial sud-vietnamien de Ngo Dhin Diệm, alors soutenu par les États-Unis. Cette photo résonne d’autant plus chez moi que je la connaissais déjà au moment où je découvre l’album, quelques 2 ou 3 ans après sa sortie, jeune adolescent boutonneux et pré-rebel de 15 ans ? Je l’avais en effet souvent observée bien avant l’heure des Internet, dans le Quid 1984 de mes parents (sorte de dictionnaire de l’actualité mondiale). Elle avait profondément marqué mon cerveau d’enfant d’alors.
La claque est musicale ensuite. Sortant de ma période hard rock/métal, des Guns à Metallica en passant par Iron Maiden et commençant à m’intéresser au hip-hop et sa scansion, quelle stupéfaction de découvrir se groupe affranchis des genres et digne représentant de ce que l’on me dit s’appeler « Fusion », la vraie, de la confrontation de plusieurs influences et non pas simple superposition de deux genres comme avaient pu le faire Aerosmith et Run DMC (Public Ennemy) avec leur titre Walk This Way en 1994.
Cette fusion, c’est le rap énervé et gueulard de Zack de la Rocha débordant d’énergie violente et bestiale. C’est la guitare metal de Tom Morello, au son personnel et unique et dont les solos géniaux et les multiples pédales d’effets m’ont fait comprendre que l’emploi de la guitare en rock ne se limitait pas à l’utilisation alternée de sons clairs / sons saturés (le monsieur est tout de même classé 40ème des 100 meilleurs guitaristes de tous les temps par le magazine Rolling Stone). Cette fusion, ce sont enfin les influences funk, jazz et groovy chez la basse de Tim Commerford et la batterie de Brad Wilk.
On ne peut enfin parler de Rage sans évoquer militantisme et engagement. Critique de la mondialisation, du système capitaliste, de l’uniformité des médias, de l’emprise de la religion… Prises de positions pour Mumia Abu Jamal ou Leonard Peltier… Moi, perso, quand la musique revendique, je suis pour. Et là, on est servi ! Et on parle tout de même du groupe qui par le biais d’un concert sauvage en janvier 2000 a réussi à faire fermer ses portes en pleine journée à la bourse de Wall Street à cause de la foule rassemblée. Cela n’était plus arrivé depuis le Krach de 1929.
Pour illustrer mon propos, il eut été un peu facile de choisir le titre phare Killing in the Name, qui, pour l’anecdote, a eu un retour sur le devant de la scène quand des internautes, agacés que la prestigieuse première place des charts anglais la veille de Noël soit trustée par le vainqueur de l’émission de téléréalité The X Factor ont lancé un mouvement pour un vote massif à destination de la chanson des Rage. Résultat : victoire haut la main 500 000 téléchargements contre 450 000. Je me suis donc tourné vers ce titre (très légèrement) plus confidentiel mais tout aussi évocateur : Know Your Ennemy.
Véritable OVNI dans mon parcours d’auditeur, indispensable, sans aucuns doutes, Rage Against the Machine fixait en 1992 un son qui sonne encore résolument moderne malgré les plus de 20 ans qui nous en séparent et dont pléthore d’artistes à la renommée internationale revendique l’influence, de Muse à System of a Down en passant par Deftones et Linkin Park.