[Album de la Semaine] Killowen – Six Missed Calls

Je déteste écrire une chronique en “Je”. En effet : vous n’avez pas choisi d’ouvrir mon journal intime et je n’ai en temps normal pas l’audace de vous infliger mes états d’âme. Mais aux grands maux, les grands remèdes : puisque je n’arrive pas tout à fait à mettre le doigt sur ce qui me magnétise dans le disque que j’ai décidé de vous infliger cette semaine, autant vous parler librement de ce qu’il m’évoque.

Enfin, pour être franc, il y a dès le départ un faisceau d’indices : Killowen est un MC londonien de 25 piges, qui a décidé de consacrer son flow à une musique toute entière issue du hardcore continuum anglais, cet arc sonore de dance music qui va du broken beat à la drum’n’bass en passant, évidemment, par le UK Garage le plus chaloupé.

Mais Owen, lui, est surtout un garçon qui a sûrement grandi en regardant Skins et Missfits par-dessus l’épaule d’une grande sœur ou d’un grand frère. Qui a vraisemblablement vécu une adolescence fast life à l’image de celle des personnages de ces séries générationnelles et a su en intégrer tous les feelings contrastés.

C’est terrible : chaque morceau de ce “6 Missed Calls” me renvoie au visage des choses que le trentenaire que je suis ne peut plus tout à fait ressentir. Et qui me donnent le vertige quand je les croise aux travers les punchlines et les refs qui émaillent le disque.

Il faut avoir ressenti cette façon naïve, touchante mais infiniment toxique d’attendre d’une canette bue sur un banc public qu’elle comble le vide. Cette envie irrépressible de courir après des sensations trop fortes pour la vraie vie. Ce drama infini des ados saouls et des histoires de cœurs éthyliques. Cette fureur d’en découdre, quitte à tout péter, soi-même en premier. 

La putain de loose, finalement. Tout un mode de pensée hyper doom, volontiers venimeux, tout à fait addict.

Mais quand Killowen le met en jeu à travers ces 6 appels manqués – rien que cette thématique structurante est terriblement évocatrice – ça me foudroie : il transforme ce spleen d’enfants ratés en bombes émotionnelles.

Globalement, ce long EP navigue sans temps mort entre des crève-coeurs sublimes (“cook & effy”, forcément, “forever”) et des hymnes euphoriques (“reason”, “pick your poison”). Mais c’est peut-être en écoutant l’intro de “Something To Say” qu’on peut prendre pleinement conscience de la bienveillance et la justesse avec laquelle l’Anglais arrive à traiter sa matière première. Sans surjeu ni exubérance.

Tout ce qu’il faut pour incarner au mieux l’idée d’une musique à danser avec une larmiche, tant les productions sont le reflet d’une culture acérée de la club music anglaise : retirez cette couche de romantisme à la bière brune et vous tomberez sur des morceaux qui pourraient tout à fait être joués par Jeremy Sylvester, DJ EZ, voir, pour le plaisir de la citer, Octo Octa.


Cet EP sonne donc comme une aventure nostalgique, un blast from my past. Comme une rechute semi-contrôlée vers une vision de l’univers qui me paraît désormais si surannée. Si jamais vous vous reconnaissez dans tout ce que fait ressentir ce disque, sachez que souvent, ça finit par passer. Heureusement.